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Immigration/ L’Europe est-elle une forteresse pour les migrants ?


L’Union européenne a une politique d’immigration restrictive. Différentes stratégies sont mises en œuvre pour restreindre l’arrivée des migrants, tout en restant ouvert au droit d’asile.

À l’automne, des naufrages successifs en Méditerranée, qui ont coûté la vie à près de 500 personnes, ont fait resurgir avec violence l’acuité de la question de l’accueil des migrants qui cherchent à gagner l’Europe au prix d’une dangereuse traversée. Fin décembre encore, 1 000 migrants ont été secourus en vingt-quatre heures au large de l’île italienne de Lampedusa.

Dans le contexte actuel de crise économique et de chômage élevé, ceux-ci sont souvent présentés comme une menace pour la sécurité et la santé économique des États européens, une perception que reflètent souvent, sur le terrain, leurs politiques migratoires. Celles-ci peuvent être appliquées au mépris des obligations internationales et des valeurs de l’UE, lesquelles expliquent précisément que des migrants traversent la Méditerranée pour la rejoindre.

Quel est l’état des lieux et quelles solutions sont possibles ?

 L’Europe en désaccord sur la solidarité 

Une opposition Nord-Sud divise les pays de l’Union européenne. En première ligne face au débarquement de migrants venus des rives sud de la Méditerranée, la Grèce, Malte, l’Italie et Chypre réclament plus de « solidarité européenne ». Arguant que la destination finale de ces arrivants est d’abord le nord de l’Europe, Allemagne et Suède en tête, ils considèrent que ce soutien ne doit pas être seulement financier, mais doit aussi impliquer une répartition des migrants dans toute l’Union. Berlin et Stockholm rétorquent, à juste titre, qu’ils accueillent plus de réfugiés (notamment syriens aujourd’hui) que le reste de l’Europe.

La Grèce, qui préside le conseil des ministres de l’Union pour six mois, devrait profiter d’une réunion des ministres européens de l’intérieur, le 24 janvier, à Athènes, pour reformuler une idée qu’avait fini par abandonner la Commission : un « mécanisme de redistribution » obligatoire des demandeurs d’asile, en fonction du PIB des pays européens, de leur population, des chances d’intégration, du coût de l’accueil…

« Ce n’est pas non plus la solution de forcer des demandeurs à faire leurs requêtes dans tel ou tel pays, parce qu’ils continueront à chercher un endroit sûr où ils pourront être avec leurs familles », juge Ana Fontal, du Conseil européen pour les réfugiés et exilés, une fédération d’ONG. Le problème, pour elle, n’est pas législatif. « Même avec les règles actuelles, les États ont la possibilité de mieux se partager la prise en charge des demandes d’asile pour permettre à une famille, par exemple, d’habiter dans le même pays, mais ils ne les utilisent pas, ou à peine », ajoute-t-elle. Les pistes de solutions existent, le problème reste l’absence de volonté politique.

 Une Europe protégée par de solides barrières légales 

Selon plusieurs eurodéputés, associations et chercheurs, le renforcement des « voies légales » d’accès à l’Europe pourrait contribuer à empêcher les dangereuses traversées illégales de la Méditerranée.

Or, les candidats au statut de réfugié en Europe, soit une partie des passagers des bateaux de fortune, ne peuvent demander l’asile depuis leur pays. « Pour être demandeur d’asile, il faut franchir une frontière », explique Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés. Pour elle, un dépôt des dossiers sur place serait inefficace. Il pourrait notamment entraîner une affluence dans les ambassades, à même d’attirer l’attention de l’État que les demandeurs d’asile veulent fuir.

D’autres possibilités existent pour l’asile, dont la « réinstallation », c’est-à-dire l’accueil des demandeurs exilés dans un pays qui en héberge déjà un grand nombre. Mais en dehors des pays du Nord, l’UE recourt peu à ce système. Plus pratiquée, la « protection régionale » consiste à aider l’accueil de demandeurs d’asile dans un pays voisin.

L’assouplissement de la délivrance des visas pourrait constituer une solution destinée aux migrants économiques. « Les migrants n’utiliseraient pas leurs visas uniquement dans le sens Sud-Nord, poursuit Claire Rodier. Ils n’ont pas tous envie de s’installer hors de chez eux, certains se fixent en Europe par la contrainte. Ils seraient mobiles. »

Sur cette voie, l’UE a signé, en juin, « un partenariat de mobilité » avec le Maroc, censé faciliter l’obtention des visas pour certaines catégories – chercheurs, hommes d’affaires… – en échange de négociations vers un accord de réadmission obligeant Rabat à accepter le retour des migrants partis de son territoire. Mais un tel partenariat, actuellement objet de discussions avec la Tunisie, ne concerne pas les populations susceptibles de traverser la Méditerranée clandestinement.

 Des murs aux frontières 

Autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au nord du Maroc, des clôtures couronnées de barbelées ont été érigées au début des années 2000, respectivement sur 8 et 12 km de long. L’Europe cherche à se barricader de plus en plus en dressant des murs à ses frontières pour enrayer l’afflux de migrants. Fin 2012, la Grèce a achevé la construction d’un mur de 12,5 km de long, là où le fleuve Evros permettait de franchir aisément sa frontière avec la Turquie. Cet automne, ce fut au tour de la Bulgarie, impréparée face à l’afflux nouveau de Syriens fuyant leur pays, de décider d’ériger un mur de 30 km de long à sa frontière avec la Turquie.

Or le durcissement des barrières physiques et légales et le renforcement des contrôles via l’agence européenne Frontex de surveillance de frontières n’a jusqu’à présent pas enrayé le flux des migrants, qui mettent de plus en plus leur vie en péril pour gagner cette Europe barricadée. Olivier Clochard, chercheur CNRS du laboratoire sur les migrations internationales, rappelle que le nombre de morts continue à progresser depuis la mise en place de Frontex.

Selon le Réseau européen contre le nationalisme, le racisme et le fascisme et pour l’aide aux migrants et aux réfugiés, 16 252 personnes seraient mortes – presque toutes par noyade – en vingt ans aux frontières de l’Europe. Depuis le drame de Lampedusa – plus de 300 morts début octobre –, les États membres de l’Union européenne cherchent encore un terrain d’entente pour renforcer les missions de sauvetage de l’agence Frontex. Contrôler et sauver, ce cumul de missions est jugé peu compatible par les ONG.

 La multiplication des centres de rétention 

Qu’ils s’appellent centre de rétention administrative (CRA) en France, centre d’identification et d’expulsion (CIE) en Italie, centre d’internement des étrangers en Espagne, etc., ces centres de détention des étrangers en situation irrégulière qui se sont multipliés sur le sol européen depuis les années 1980 constituent l’un des volets sombres de la politique migratoire européenne. Ils sont environ 600 000 « retenus » chaque année dans environ 400 centres. L’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe s’est déclarée « préoccupée par ce recours excessif à la rétention ». Dans sa résolution 1707 de 2010, elle déplore le fait que la privation de liberté, qui « ne devrait être appliquée qu’en dernier recours, (fasse) de plus en plus office de première solution et de moyen de dissuasion ».

Migreurop, à l’instar d’autres associations, dénonce le non-accès des journalistes et de la société civile à ces centres dans lesquels surpopulation, conditions de vie désastreuses et violations des droits humains sont fréquents, et réclame leur fermeture. Ces conditions sont « souvent pires que celles réservées aux personnes placées en réclusion criminelle », selon le conseil de l’Europe, lequel préconise un cadre juridique régissant le recours à la rétention et la priorité à des mesures alternatives, notamment des camps ouverts ou des pratiques d’enregistrement hebdomadaire permettant aux personnes de circuler librement.

Un premier bilan de la directive « retour » de 2008, qui introduit des normes minimales à respecter, est attendu pour le printemps. Selon Alessandra Capodanno de Migreurop, « elle a souvent harmonisé par le bas ». Elle évoque notamment l’allongement jusqu’à dix-huit mois de la période de rétention : « De nombreux pays en ont profité, la durée de rétention est passée de un à trois mois en France, de six à dix-huit mois en Italie, de trois à dix-huit mois en Grèce. »

(La Croix)

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